Richard Amalvy | La « raison d’être », une notion qui donne du sens à l’entreprise
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La « raison d’être », une notion qui donne du sens à l’entreprise

Le 9 mars dernier, la mission Notat-Sénard sur « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » remettait ses conclusions au gouvernement. Une de leurs propositions consiste à ajouter la notion de « raison d’être » à celle d’« entreprise ». Une notion qui donne du sens et qui nourrit l’image de marque de l’entreprise.

En remettant leur rapport (1) à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, Nicole Notat (ex-dirigeante de la CFDT) et Jean-Dominique Sénard (patron de Michelin), ont apporté une proposition attendue par tous ceux qui reconnaissent les bienfaits de la RSE : ajouter la notion de « raison d’être » à celle d’« entreprise ». Cette notion, bien connue des dirigeants d’organisations non gouvernementales, se rapproche de celle de « cause sociale », qui est un excellent argument marketing.

Donner une dimension juridique à la notion d’entreprise

L’enjeu, pour une entreprise qui définirait sa « raison d’être », serait d’intégrer 1/ à ce qui la fonde d’un point de vue commercial (objet social, code civil art. 1833) et 2/ à l’intention initiale des associés qui l’instituent (affectio societatis, code civil art. 1832), une cause aux contours dessinés par sa responsabilité sociale, sociétale et environnementale. Pour Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard, « ces textes passent sous silence l’entreprise et l’ensemble des personnes qui y contribuent à côté des associés, parce que la question ne se posait pas vraiment à l’époque de leur rédaction ».

Le hic, en effet, c’est qu’en droit français, la notion d’« entreprise » n’existe pas, comme l’a démontré, dès 1999, Jean-François Robé, docteur en sciences juridiques et avocat: « Il est surprenant de constater que dans aucun ordre juridique, l’entreprise en soi ne se voit reconnaître la personnalité morale, une existence en tant qu’unité juridique » (2). En 2012, Blanche Segrestin et Armand Hatchuel (3), deux chercheurs de Mines Paris Tech, emboîtaient son pas en expliquant « le manque d’une théorie et d’un droit qui la protège ». Faute de penser l’entreprise et sa mission propre, Segrestin et Hatchuel précise : « on a pu penser que l’entreprise pouvait être organisée selon les règles de la société. Aussi la première n’existe-t-elle pas en droit. Seule existe la société commerciale, c’est-à-dire le contrat qui unit les différents actionnaires aux équipes de dirigeants ». Le droit du travail s’adresse, lui, aux relations entre dirigeants et salariés.

L’entreprise, corps social et action collective

Pour Segrestin et Hatchuel, il s’agirait de repenser l’entreprise comme une « action collective créatrice », permettant de reconnaître une responsabilité (RSE) vis-à-vis de l’ensemble de ses parties prenantes (actionnaires, dirigeants, collaborateurs, fournisseurs, clients, partenaires), qui irait bien au-delà du seul profit économique.

Cette démarche RSE est déjà engagée dans de nombreuses entreprises et les auteurs du rapport notent que : « Face à ces défis et ces attentes, le droit français des sociétés apparaît aujourd’hui comme l’un des plus désuets, et comme l’un des plus favorables aux actionnaires. Il existe à tout le moins un décalage entre notre droit des sociétés […] d’une part, et la réalité économique qu’est l’entreprise ainsi que l’importance de l’impact de son activité, d’autre part ». Dans le langage des ONG, on parlerait d’impact social, sociétal et environnemental.

Si l’on considère l’entreprise comme un corps social où se mêlent l’investissements des actionnaires, les aspirations novatrices de l’entrepreneur et les contributions productives et créatives des collaborateurs, un intérêt commun se révèle : la prospérité, non circonscrite au résultat financier.

La « raison d’être », identité de l’entreprise

Dans notre métier, nous plaçons la «  raison d’être » au cœur du changement (4)  de l’entreprise, en planifiant le processus de transformation de manière systémique et holistique autour de la notion d’image de marque.

Nous pouvons ainsi élaborer une vision d’avenir et engager les différentes parties prenantes dans le processus de transformation qui la fait advenir. Sa mise en œuvre concerne l’identité (verbale et visuelle), le comportement institutionnel (gouvernance, management, ressources humaines), la structure et la production de l’entreprise, en projetant l’alignement organisationnel sur les valeurs et les principes de la marque.

Comme Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, nous pensons que « l’entreprise ne saurait se réduire à ses buts lucratifs ».

 Richard Amalvy

Photo : IMS Networks, une PME qui met en œuvre sa raison d’être : « engagés pour un monde numérique plus sûr ».

(1) Nicole Notat, Jean-Dominique Sénard, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, Ministère de l’Économie, mars 2018.

(2) Jean-François Robé, L’entreprise et le droit (1999), Que sais-je ? n° 3442, P.U.F., Paris.

(3) Armand Hatchuel, Blanche Segrestin, Repenser l’entreprise, Seuil, 2012.

(4) Richard Amalvy, La promesse de marque, moteur du changement, Les Échos, avril 2014.