Richard Amalvy | Le monde catholique, une affaire de communication
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Le monde catholique, une affaire de communication

Dans le monde catholique, tout est communication : un imaginaire bâti sur la parole de Dieu faite homme, mystère de l’incarnation ; cette parole poussant la performativité jusqu’à organiser ses auditeurs en religion ; et l’invention d’une notion de la communication sociale qui explique qu’avant tout, la communication est une mise en relation. Petite revue de détail.


Le 28 mars 2013, durant sa première messe chrismale dans la basilique Saint-Pierre, devant un parterre de prêtres et de religieux, le pape François a indiqué qu’il attend de l’Église et du clergé qu’ils ne soient pas simplement des «gestionnaires» mais avant tout des « médiateurs », insistant sur la mission évangélisatrice de l’église catholique au-delà de ses propres cercles. « Médiateur », voilà le mot qui permet de comprendre le rapport qui existe entre l’église catholique et la communication, et plus fondamentalement d’expliquer la dimension communicationnelle de la religion catholique. Commençons par cette idée.

De la parole à l’organisation

Depuis plus de deux millénaires, la mission de l’Église catholique est d’annoncer la Parole, le message évangélique simple mais révolutionnaire de Jésus-Christ : « Aimez-vous les uns les autres ». Cette mission s’est historiquement développée à partir du mythe constitutif du « Verbe incarné » représenté par la figure humaine de Jésus de Nazareth, que le théologien Karl Ranher appelle «l’auto-communication de Dieu » (1). Dieu parle et cette parole, performative, agit et fait faire. Cette même idée a permis à Régis Debray de formuler la question : « Qu’est-ce que faire croire fait faire ? » (2). Agnostique mais admirateur de la puissance médiologique du christianisme (3), Debray assure que l’Église catholique est la forme la plus aboutie de la médiation. Si dans la religion catholique tout est communication c’est que celle-ci est consubstantielle à sa formation.

Mais entre Dieu et les fidèles, l’Église s’est progressivement organisée en un système mêlant une structure hiérarchique et territoriale simple du niveau local au niveau global (la paroisse, le diocèse, le Saint Siège), à un réseau complexe de congrégations et de mouvements. Cette organisation n’existe que parce qu’elle vient en appui à la mission. Hors, la construction historique a fait de l’Église « corps mystique du Christ » un projet plus important à faire exister que la raison d’être qui devrait l’animer. Mise entre des mains humaines l’annonce de la Parole s’est transformée en une organisation puissante.

Un monde en soi

Au bout de cette construction historique, l’Église est confronté à un paradoxe organisationnel : elle a tout d’abord créé une clôture informationnelle, système devenu un monde en soi, fermé par un cadre normatif (orthodoxie : dogme, droit, magistère) et une pratique (orthopraxie : liturgie, catéchisme, formations des prêtres) qui assure sa nég-entropie (4), pour parler simple sa capacité à conserver son organisation, sa structure, sa forme, son fonctionnement sans se laisser troubler par des forces extérieures. Si nous suivons l’exercice de déconstruction du christianisme suggéré par le philosophe Jean-Luc Nancy (5) nous parlerions d’enclos et nous appellerions, comme lui, « déclosion », c’est-à-dire la capacité d’en sortir.

Car, dans ce monde catholique qui aspire à l’unité et à l’universalité, une ouverture est créée que l’on peut qualifier de communicationnelle. Le corpus de Vatican II confirme en partie cette volonté de mise en relation avec le monde. Mis en tension entre clôture informationnelle et ouverture communicationnelle le catholicisme tient là son plus grand tropisme.

La communication comme mise en relation

Plus prosaïquement, l’Église est la créatrice de la notion de communication sociale, définie par le décret Inter Mirifica comme une « mise en relation » (6). Dans les faits, l’Église a développé des pratiques, des processus et des moyens de communication variés qui ont contribué à la propagation de la foi catholique, au développement de l’agir chrétien, ainsi qu’à la présence du catholicisme dans l’espace public. Tout au long de son histoire, elle a encouragé et utilisé les moyens de diffusion de la pensée et des idées, au fur et à mesure de leurs découvertes : manuscrits, imprimerie, radio, cinéma, photographie, minitel, et aujourd’hui, internet. Debray fait coïncider « la victoire du codex sur le rouleau au IVe siècle, et celle du christianisme sur le paganisme ».

L’Église et les médias aujourd’hui

Mais, au début du 21e siècle, les conditions socio-culturelles, politiques, et géopolitiques dans lesquelles s’exerce la mission de l’église catholique ont changé. Les travaux lancés par le Concile Vatican II en octobre 1962 visaient à répondre à des défis similaires que les pères conciliaires appelèrent « signes des temps » (7). Près de cinquante ans après, en septembre 2010, le pape Benoît XVI a repris le thème de la « nouvelle évangélisation » lancé par son prédécesseur Jean Paul II, dans une lettre apostolique (8) créant un Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation. L’objectif de ce conseil est « d’encourager la réflexion sur les thèmes de la nouvelle évangélisation, et d’identifier et promouvoir les formes et les instruments aptes à les réaliser ». Dans une société mondialisée où de nouveaux médias renouvellent et transforment les échanges de toutes nature, l’Église catholique cherche « un nouveau langage » (9) pour renouveler sa mission au service de l’annonce de la Parole. Plus particulièrement en Europe, la stratégie de l’Église catholique vise à enrayer le vieillissement démographique de ses membres, la chute des effectifs du clergé et son effacement de l’espace public, comme effets de sa sécularisation. Parmi les travaux du nouveau conseil figure « l’étude et l’encouragement de l’utilisation des formes modernes de communication, comme instruments pour la nouvelle évangélisation ».

Cette stratégie missionnaire s’appuie sur deux piliers. L’un vise à rétablir l’image de l’Église catholique à partir de l’icône et des paroles de Jésus de Nazareth (10). L’autre concerne la communication, et plus à présent, le réseau Internet. En mai 2009, à l’occasion de la journée mondiale des communications sociales, le pape Benoît XVI, interpelait les jeunes sur leur « devoir d’évangélisation de ce continent digital » (11).

L’appropriation d’internet

Dans un deuxième message publié le 23 janvier 2010 (12), le Pape enjoignait les prêtres à utiliser internet le plus possible afin de donner une « âme » à ce « continent numérique », en créant sites et blogs adressés aux croyants, chrétiens ou non, comme aux athées. Faisant une analogie entre la toile et une nouvelle terre de mission, le Pape évoquait l’importance de « l’engagement » que nécessite le rôle « d’animateurs de communautés » des prêtres au milieu du monde numérique. Déjà conscient de l’efficacité de ces moyens de communications au sein des communautés ecclésiales pour « s’exprimer dans les limites de leur propres territoires », il expliquait toutefois que leur « récente expansion et leur considérable influence » rend indispensable l’apprentissage de son utilisation par le plus de prêtres possible. Benoît XVI n’avait apparemment pas peur des curés médiatiques.

Depuis, l’Église a accentuée sa présence sur Internet en mettant en œuvre une communication coordonnée et médiatisée par divers dispositifs du web 2.0. En novembre 2011, durant son assemblée plénière annuelle, la conférence des évêques de France a repris les conclusions d’un groupe de travail sur « Internet et l’église » (13) qui appelle à « risquer la circulation de la rumeur évangélique » (14). Quant au Pape François, il a considéré Internet comme un don de Dieu.

Médiatisation et espace public

La question de la médiatisation de l’Église et de ses représentants n’est pas résolue. Où est le problème ? Il y en a deux. Le premier concerne « la société du spectacle » décrite par Guy Debord. Mais cette société du spectacle trouve des origines lointaines dans la mise en scène liturgique, dans les processions, dans la musique sacrée de Bach à Mozart, et elle se poursuit aujourd’hui dans l’organisation de grandes manifestations comme les JMJ relayées en mondiovision. Et le départ de Benoît XVI du Vatican… quel spectacle ! L’Église ne peut pas fustiger le spectacle en soi mais on comprend qu’elle veuille qu’il y ait un sens et que ce soit empreint de bon goût.

L’Église ne peut pas faire l’impasse sur ce qui est populaire en terme médiatique à moins de vouloir se couper du peuple en préférant les salons bourgeois. Des partis politiques se sont coupés du peuple. Nous voyons combien cela favorise le populisme des extrêmes.

Le deuxième problème est lié à la critique de la médiatisation est celle de la forme que doit prendre l’engagement de l’Église dans l’espace public par cette médiatisation.

Bien que l’Église soit en dehors du champ politique, sa parole publique entre dans le champ de la communication politique dès lors que ses prélats dialoguent publiquement avec des responsables politiques sur des questions touchant des politiques publiques. En septembre 2010, suite à l’annonce de mesures concernant les Roms en France, l’intervention directe de Mgr André Vingt-Trois (15) auprès du Président de la République a débouché sur une prise de parole publique de l’Église. Et le débat et les manifestations contre le mariage pour tous ont été éminemment politiques.

Par l’action de ses mouvements de laïcs, de ses ordres et congrégations et par son organisation territoriale, l’Église reste un acteur puissant de la vie publique, agissant au-delà du domaine religieux et spirituel, dans des domaines touchant l’éducation, le social, la culture. Son éthique de l’engagement provient de la doctrine sociale initialement définie en 1891 par l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII qui s’attaquait à la condition ouvrière entre autre, à la même époque où Zola publiait Germinal.

En dehors du champ politique, mais porteuse d’une vision de la société, l’Église est un acteur de la société civile, organiquement autonome de tout lien avec le secteur représentant le pouvoir et celui du marché. Entre gouvernants et gouvernés, l’Église (institution et communauté) joue un rôle de relais tout comme les groupes de pression qui constituent la société civile.

Que penser, par exemple, des figures médiatiques de l’abbé Pierre, de Sœur Emmanuelle, du Père Guy Gilbert ? Ces rebelles de Dieu ont souvent mené la vie dure à l’institution. Mais cette dernière a besoin de ces icones pour rencontrer la société. Ils ont su, sans en avoir peur, utiliser les médias pour atteindre les périphéries et l’espace public et annoncer la Parole au plus grand nombre.

Les paraboles du pape François

Les périphéries, ce sont ces lieux devenus lointains que le pape François désigne comme terres de mission. En ce qui le concerne, il a décidé de les atteindre en mettant en adéquation parole et action. Adepte de phrases simples visant à toucher le quidam, le pape parle comme le Christ, en parabole. Et pour mieux se faire comprendre, il a adopté un style de vie qui est médiatiquement compatible avec ce qu’il prêche. Il en ressort une popularité qui dépasse les frontières du monde catholique.

Sous son pontificat, outre les réformes structurelles et fonctionnelles de la Curie, l’enjeu principal pour l’Église d’aujourd’hui est de ne pas se méfier d’un processus, la communication, dont elle est la grande détentrice, puisque tout, dans le catholicisme, est affaire de communication.

Richard Amalvy

(1) David Douyère, L’incarnation comme communication, ou l’auto-communication de Dieu en régime chrétien, Question de communication, 2013, 23, 31-56.
(2) Régis Debray, Cours de médiologie générale, Gallimard, Paris, 1991.
(3) Op. cit.
(4) Robert, Escarpit Théorie générale de l’information et de la communication, Hachette Université, Paris, 1976.
(5) Jean-Luc Nancy, Déconstruction du christianisme. La déclosion, Paris, Galilée, 2005.
(6) Décret Inter Mirifica sur les moyens de communication sociale, Vatican II, promulgué par le pape Paul VI le 4 décembre 1963.
(7) Une sous-commission « Signes des temps » (De signis temporum) du Concile Vatican II est mise sur pied en septembre 1964 pour étudier : « Les phénomènes qui, par leur généralisation et leur grande fréquence, caractérisent une époque, et par lesquels s’expriment les besoins et les aspirations de l’humanité présente » (Rapport Delhaye-Houtart, 17 nov. 1964). Cette expression est reprise par le pape Paul VI dans son encyclique Ecclesiam Suam (1964).
(8) Benoît XVI, Ubicumque et Semper. Lettre apostolique sous forme de motu proprio par laquelle est institué le conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, Castel Gandolfo, 21 septembre 2010.
(9) Selon les termes de Mgr Rino Fisichella, Président du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, prononcés lors d’une rencontre du Théologicum de l’Institut ctaholique de Paris, 13 décembre 2010.
(10) Joseph Ratzinger, Jésus de Nazareth, Editions du Rocher, Paris, 2011.
(11) Benoît XVI, Nouvelles technologies, nouvelles relations. Promouvoir une culture de respect, de dialogue, d’amitié, Conseil pontifical pour les communications sociales, Cité du Vatican, 24 mai 2009.
(12) Benoît XVI, « Le prêtre et la pastorale dans le monde numérique : les nouveaux médias au service de la Parole », message pour la 44ème journée mondiale de communication sociale, Cité du Vatican, diffusé le 16 mai 2010.
(13) Groupe de travail « Internet et église », piloté par Mgr Nicolas Brouwet, évêque auxiliaire de Nanterre.
(14) Selon le rapport du P. Henri Jérôme Gagey, Professeur au Theologicum de l’Institut Catholique de Paris.
(15) Monseigneur André Vingt-Trois, Archevêque de Paris, alors Président de la conférence des évêques de France.